LIU Hai-Su : Maître de la Renaissance chinoise

L’Exposition à la Galerie Kleinmann en 1931 à Paris, la révélation d’un artiste.


« Les peintures de M. Liu Hai-Sou n’ont besoin ni d’un plaidoyer pour les défendre, ni d’un commentaire pour les expliquer, et aucune éloquence ne vaut leur témoignage. »
Louis Laloy, Musicologue et sinologue

Dans le premier numéro de la revue « Orient et Occident 東西文化» , publiée par la « Bibliothèque sino-internationale » en août 1934, un tableau titré « In Erinnerung au die Schweizer Berge (En mémoire de la Montagne suisse) » de LIU Hai-Su 劉海粟 est placé entre deux pages de l’article sur l’opéra chinois classique de Wang Kwang-Chi 王光祈. Grâce à l’inscription sur la peinture, l’identité de ses dessinateurs ainsi que l’année de sa création sont dévoilées : « 瑞士勃郎崖見此景象 十九年秋何香凝劉海粟合作於巴黎 (Une vue de cette image depuis une falaise brune en suisse. HE Hsiangning et LIU Hai-Su ont peint en collaboration à Paris à l’automne 1930)».

Ce tableau est ainsi le fruit du génie de ces deux artistes chinois. L’une fut la féministe HE Xiangning 何香凝 (1878-1972), sympathisante du père de la Chine moderne, SUN Yat-Sun 孫中山 (1866-1925), exilée alors en banlieue parisienne ; l’autre, LIU Hai-Su 劉海粟 (1896-1994), directeur de l’Académie des Beaux-arts de Shanghai (上海美專), était en mission d’études en Europe à ce moment-là.

Né en 1896, LIU Hai-Su est considéré comme l’une des figures les plus influentes de la peinture moderne de son époque. Avec trois de ses contemporains, LIN Fengmian林風眠 (1900-1991), YEN Wenliang 顏文樑(1893-1988) et XU Beihong徐悲鴻 (1895-1953), il forme le groupe des « Quatre plus grands peintres directeurs » en Chine. L’Académie des Beaux-arts qu’il a créé en 1912, alors qu’il n’avait que 16 ans, fut le premier institut consacré aux beaux-arts en Chine. XU Beihong徐悲鴻 (1895-1953)1, PAN Yuliang潘玉良 (1895-1977)2 et LIU Yah-Fan柳亞藩 (1902-1977)3 furent formés dans cet institut.

Grand ami du politique et du pédagogue CAI Yan-Pei蔡元培 (1868-1940) 4, LIU Hai-Su a été soutenu par ce dernier pour son voyage officiel en Europe entre 1929 et 1931. Le 25 février 1929, il embarque sur le paquebot « Sphinx » pour la France, en compagnie de sa femme ZHANG Yunshi 張韻士(1899-1970) et de son fils LIU Hu 劉虎 (1920- ?). Trois semaines plus tard, le 15 mars 1929, ils débarquent à Marseille. LIU Hai-Su débuta ainsi son aventure en Europe. D’abord, il s’est rendu au Louvre afin d’observer l’usage de la couleur et de la lumière dans des grandes œuvres, telles que les peintures de Michel-Ange (1475-1564), de Raffaello Sanzio (1483-1520), de Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), d’Eugène Delacroix (1798-1863), etc, puis, il les reproduisit.

Entre temps, il a postulé au Salon d’automne de Paris pour son œuvre « 前門 ( La Porte d’entrée ) » qu’il avait peint quelques années auparavant. Cette dernière a été retenue et ainsi exposée au Salon dans la même année. La technique que LIU Hau-Su a utilisé dans « La Porte d’entrée » a attiré l’attention de Henri Matisse (1869-1954) à cette occasion. Ce dernier l’a estimé et invité dans sa maison de campagne à plusieurs reprises. Par son intermédiaire, l’artiste chinois a fait connaissance avec des peintres de premier rang de l’époque, tels que Pablo Picasso (1881-1973), Albert Marquet (1875-1947) et André Derain (1880-1954).

Après Paris, LIU Hai-Su a visité le village Saint Gingolph, situé sur la frontière franco-suisse, le lac Léman et la ville de Genève. Ces paysages magnifiques de la Suisse lui ont inspiré une dizaine peintures. Le tableau « En mémoire de la Montagne suisse » est ainsi le souvenir de ce voyage. Il a poursuivi sa mission d’études à Rome, Milan, Venise, Florence, Bruxelles, Leuven, Antwerpen, Francfort et a produit de nombreuses œuvres pendant son voyage.

De retour à Paris, LIU Hai-Su eut l’occasion de rendre à Albert Besnard (1849-1934), – alors directeur de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Paris -, et lui montra des œuvres inspirées par son voyage, en présence de Louis Laloy (1874-1944), qu’il avait rencontré lors de l’exposition du Salon d’automne à Paris. Albert Besnard, en examinant ses tableaux, perçut une modernité dans la peinture de LIU Hai-Su et pensa que l’artiste chinois pourrait être un pionnier dans l’histoire de l’art contemporain en Chine. Il a alors décidé d’organiser une exposition pour présenter ses quarante œuvres à la Galerie Kleinmann à Paris, du 1er au 15 juin 1931.5

A cette occasion, Louis Laloy lui a consacré une préface dans la revue franco-chinoise :

« […] L’accent du dessin, la vivacité du coloris, la décision du caractère et l’harmonie de la composition se font aussitôt reconnaître à qui possède des yeux pour voir, qu’il soit connaisseur ou profane, d’éducation européenne ou asiatique. Paris a déjà rendu justice à M. Liu lorsqu’il a exposé quelques-uns de ses tableaux au Salon d’automne, en 1929 et 1930, ainsi qu’au Salon des Tuileries. Mais la réunion de ses œuvres permet d’apprécier mieux encore, par la différence des sujets et des dates, les ressources variées d’un beau talent sans cesse relevé par l’étude, et dont la récompense est un perpétuel progrès […]»

Ces quelques lignes contribuent sans conteste à faire connaître LIU Hai-Su, ce maître de la Renaissance chinoise, dans le monde artistique .

Bibliographie

1. CINQUINI Philippe, «Les artistes chinois en France et l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris à l’époque de la Première République de Chine (1911-1949) : pratiques et enjeux de la formation artistique académique. » Thèse en histoire de l’art, Université de Lille 3 Charles-de-Gaulle, 2017.
2. LALOY Louis, « M. LIU HAI-SU, Maitre de la Renaissance chinoise », Revue franco-chinoise, vol. XII, 2eme semestre 1931, pp. 135-138.
3. SHI Nan 石楠, 《劉海粟傳》(La biographie de LIU Haisu), Taipei, Editions La Terre, 1994.
4. « Orient et Occident 東西文化» , no 1, Genève, Bibliothèque sino-internationale, août 1934.

  1. Xu Beihong fut diplômé de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Paris en 1924. Cf: https://www.cafamuseum.org/exhibit/newsdetail/2491 ↩︎
  2. Elle fut ancienne élève de l’Institut franco-chinois en 1921, puis elle est partie à Paris en 1923 pour effectuer ses études à Ecole nationale supérieure des Beaux-arts de Paris où elle a fait connaissance avec Xu Beihong. Voir: https://www.bm-lyon.fr/nos-blogs/le-fonds-chinois%E9%87%8C%E6%98%82%E5%9C%96%E6%9B%B8%E9%A4%A8%E4%B8%AD%E6%96%87%E9%83%A8/instruments-de-recherche-et-documents/institut-franco-chinois-de-lyon-ifcl/presentation-de-l-institut-franco-chinois/les-etudes-suivies/article/pan-yuliang-1894-1977?lang=fr ↩︎
  3. Voir l’article de Pascale Bugnon “L’exposition Liu Yah-Fan à la Bibliothèque Sino-Internationale (1943) : L’Art comme “Unificateur du Monde” sur ce même blog : https://bibliosinoint.ch/wp/fr/2023/09/09/lexposition-liu-yah-fan-a-la-bibliotheque-sino-internationale-1943-lart-comme-unificateur-du-monde/ ↩︎
  4. Avec LI Shizeng 李石曾 (1881-1973), Wu Zhihui吳稚暉 (1865-1953), Zhang Jingjiang張靜江 (1877-1950), Cai Yuanpei fait partie des quatre fondateurs de la Republique de la Chine. ↩︎
  5. Concernant l’histoire de cette rencontre, voir l’article de Philippe Cinquini : “Etude critique d’une photographie célèbre de LIU Hai-Su avec Albert Besnard – Enjeux et incidences de l’image sur le champ artistique chinois”. MOSAIQUE, revue de jeunes chercheurs en SHS – Lille Nord de France – Belgique – No. 11, avril 2014. ↩︎
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